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Forum virtuel
« Innovation, Technologies
et Plurilinguisme »
Dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’Europe, le forum interministériel « Innovation, technologies et plurilinguisme » a réuni, du 7 au 9 février 2022, de nombreux acteurs français et européens de la traduction, des technologies du langage, du numérique et de l’intelligence artificielle, au service du plurilinguisme dans nos sociétés.
Cet évènement a été l’occasion d’exposer de nombreux enjeux du plurilinguisme, éclairés et épaulés par les outils numériques.
Le rôle du plurilinguisme, à la fois levier de richesses dans la diversité européenne et renforcement du sentiment d’appartenance à l’Europe, était décliné dans ses aspects scientifiques, éducatifs (dont l’enseignement des langues et de leurs cultures, des langues tout au long de la vie, du partage des langues), culturels (avec notamment la circulation des œuvres, de l’art, des artistes), économiques, médiatiques et éthiques.
Extraites des nombreuses interventions et présentations des deux demi-journées du 7 et du 9 février et de la journée du 8 février, voici quelques pistes de réflexion sur la complexité du rôle du plurilinguisme dans la diversité et l’unité citoyenne de l’Europe, revisitées par l’innovation numérique. Une première piste retenue propose une réflexion sur les politiques des langues en Europe, une deuxième piste ouvre sur quelques exemples de l’impact du numérique dans l’enseignement des langues, un troisième volet traîte d’aspects souvent peu convoqués, l’éthique et le juridique en matière d’utilisation des outils numériques, dans la traduction, dans l’information, dans la culture que véhicule chaque langue.
-L’intervention liminaire intitulée « Avenir de l’Europe – innovation, plurilinguisme, citoyenneté », par Luuk Johannes VAN MIDDELAAR, écrivain et philosophe, ex membre du cabinet du président du Conseil de l’UE (Pays-Bas), nous plonge en 843 au traité de Verdun quand les trois petits-fils de Charlemagne se partagent l’Europe, s’exprimant en langue romane, tudesque, francique… selon les interlocuteurs auxquels ils s’adressent, Louis le Germanique prononçant son serment en langue romane pour être compris des soldats de Charles le Chauve, qui lui, s’exprime en langue tudesque pour être entendu des soldats de son frère.
Luuk Johannes VAN MIDDELAAR évoque ce rappel historique pour insister sur deux évidences : de nombreux idiomes marquent les langues d’Europe, ceci depuis toujours et l’exercice du plurilinguisme a toujours été politique.
Mais ce plurilinguisme, dans le cadre de la citoyenneté dans l’Union européenne, nous préoccupe face à une volonté d’égalité de toutes les langues de l’Union européenne. Il se révèle être souvent au carrefour de tensions, est difficile à apprécier pour certains car les Etats sont pour la plupart monolingues et conscients que chaque langue véhicule une vision du monde bien plus que des informations.
Comment alors résoudre ces tensions, en étant démocratique ?
La solution d’équité peut trouver une issue dans le numérique, avec le choix par exemple de la traduction automatique, de l’interprétation entre toutes les langues. Mais comment tenir compte de cette vision culturelle que véhicule chaque langue, essentielle dans la communication orale, mais aussi dans la traduction, l’interprétation. Ainsi, par exemple, une traduction automatique, en se croyant unique, peut déboucher sur des malentendus, un échec. De même, la voix, la parole sont souvent perdus dans les échanges ainsi assistés numériquement, comme par exemple vibrations, hésitations, qui sont aussi des outils pour négocier, adapter ses comportements culturels, ajuster les subtilités des instants, convaincre.
Lorsqu’on fait appel à l’outil numérique pour la traduction automatique, les résumés de textes…, divers types d’échanges, on doit trouver un équilibre entre aides numériques et expertise humaine.
L’aide numérique montre ses limites avec un effet inverse à celui souhaité, celui d’une certaine mise à l’écart de la diversité culturelle que véhicule chaque langue.
-Un autre temps fort a été la présentation d’outils numériques innovants dans l’enseignement du français langue étrangère et de sa culture.
Les outils éducatifs ont bénéficié des accélérations sans précédent du numérique, permettant à la didactique des langues, aux enseignements sur le terrain, en présentiel et en distanciel, de développer de nouvelles réflexions et solutions.
Le numérique apporte ses avantages pédagogiques tels que, pour n’en citer que quelques-uns, rythmer des pratiques hybrides (classe et maison), oser une imagination nouvelle avec de nouveaux types d’activités collaboratives et interactions dans l’apprentissage. Ainsi le statut de l’erreur qui peut être modifié au fur et à mesure d’un entrainement oral, inclure des troubles des apprentissages ; également la création de banques de parcours modifiables, ajustables, permettant de valoriser individuellement les apprenants, de conserver les traces d’apprentissage écrites ou orales, d’adresser des activités répondant aux besoins personnalisés ; autant d’outils que l’enseignant peut s’approprier et ne pas se voir présenter uniquement une offre numérique clé en main.
De même les certifications se déroulant en ligne bénéficient de la mise en place des moyens tels que la reconnaissance faciale, des mouvements suspects à identifier…
Ce sont tous des dispositifs complémentaires du présentiel, qui comportent des avantages adaptés à la formation à distance tels que les besoins de personnes contraintes, isolées, offrent des outils inclusifs, souples sur les supports, permettent des temps plus court, intégrant échanges et salles de pause, s’inspirant du jeu… Le ludique numérique suscite ainsi l’enthousiasme d’une réalité virtuelle, une plus grande attention des élèves.
La culture, le patrimoine culturel, avec ses banques de données vise à encourager un plus grand nombre de personnes à découvrir, à apprécier, à comprendre les autres cultures, en ce qu’elles sont, chacune, le résultat de stratifications, profondément marquées par leur histoire, les traditions et ainsi, à travers ce patrimoine, espérer renforcer un sentiment d’appartenance à un espace européen commun. Mais parler « culture » c’est aussi inscrire son rôle majeur dans l’apprentissage de la langue de communication. Comprendre, échanger, c’est bien plus que s’informer, c’est aussi travailler les compétences de communication langagière dans la prise en compte de leurs aspects culturels.
Enfin doivent être abordés, dans cet enjeu plurilingue, les avantages cognitifs des pratiques plurilingues tel que parvenir à transposer un projet vers d’autres langues étrangères….
Mais il ne faut pas oublier des freins comme la fracture numérique, les difficultés de connexion, souvent chez les non lecteurs, scripteurs.
Voici un extrait de trois démonstrations d’outils pédagogiques, avec leurs liens proposés par les intervenants :
—Michel BOIRON, directeur général du CAVILAM-Alliance française de Vichy présente un programme (mook en accès libre) concernant les Primo-Arrivants dans leur apprentissage du français. Ce programme innove en apportant des réponses aux problèmes de la collectivité, du mal-être, de l’accompagnement des Primo-Arrivants.
L’objectif est d’apporter des bases essentielles aux formateurs (bénévoles, enseignants de FLE ou de français…) ayant peu d’expérience avec les publics allophones, pour les aider à comprendre ces publics, à programmer, à animer des activités orales et écrites au plus proche de la vie réelle.
Cette formation gratuite, en modules, comporte aussi des ressources, supports vidéos, sitographie, bibliographie, outils d’évaluation et un espace communauté d’accompagnement. L’objectif est d’accompagner, pas de corriger ces bénévoles.
Accès à tous les projets pédagogiques du CAVILAM – Alliance Française : www.leplaisirdapprendre.com
— Anna CATTAN, présente avec Pierre CATTAN scénariste, l’application gratuite j’APPrends, SCOP.
Cette application propose une alphabétisation à travers le smartphone. S’inspirant des usages du smatphone par les jeunes, c’est un jeu permettant d’engranger du nouveau vocabulaire en situations de vie courante, en épisodes.
Le lien pour récupérer la présentation de l’application est le suivant : https://www.dropbox.com/s/q6eljvz1ms39m2s/JAPPRENDS_PLURILINGUISME.pdf?dl=0
—Franck DESROCHES, directeur général de l’Alliance française de Paris Ile-de-France présente deux outils conçus en réponse à une demande du Ministère de l’intérieur.
L’outil de médiation culturelle, francophone, est destiné aux bénévoles et met les apprenants au centre de l’ouverture culturelle.
Des fiches pratiques de démarches pédagogiques complètes, pragmatiques, des capsules vidéo (musée, témoignages…) accompagnent l’outil.
Une découverte de ce guide de la médiation culturelle et de l’apprentissage du français est disponible sur https://view.genial.ly/60c1e0eecedd710d57dd3679
-Pour le mercredi 09 février 2022 le temps fort retenu porte sur la table ronde intitulée Enjeux éthiques et juridiques des technologies du langage, présidée par Jean-Gabriel GANASCIA, philosophe, président du comité d’éthique, CNRS (France).
Chaque technologie du langage questionne éthique et juridique, telle que la traduction automatique, la synthèse de voix, l’intelligence artificielle… En effet, ces savoirs techniques ont des dimensions éthiques. Tout d’abord ils utilisent des données, ce qui doit poser la question de leur propriété, par exemple en traduction automatique, le travail qui y conduit n’est pas vu. Également, les modèles contiennent des milliards de paramètres avec des coûts, une partialité (par exemple dans les encyclopédies, le sexisme, racisme).
Les exploitations des données, l’infox se font elles aussi par des machines et ont des effets délétères.
Se pose également la question de l’acquisition de compétences informatiques par les enseignants-chercheurs et de leurs étudiants, sans qu’ils puissent accéder aux données la plupart du temps, ni à la possibilité d’en collecter, ce qui peut poser des problèmes éthiques, limitant les savoirs à la maîtrise seule des algorithmes, sans accéder à la modification des systèmes (par exemple pour la politesse).
Comment alors faire une traduction sans biais majeurs culturels, aux multiples strates et influences, pour chaque pays ? L’être humain doit en juger, c’est la traduction augmentée, et garder le contrôle de cet outil puissant.
Enfin il faudrait mentionner les biais culturels des jeux artificiels, mais aussi la question des droits d’auteur : quid par exemple des droits du traducteur (qui est une forme de droit d’auteur) ? Les programmes récupèrent des segments et il est souvent difficile d’identifier l’auteur.
-Des rubriques de rendez-vous virtuels, intitulées « Village de l’innovation » ont émaillé l’ensemble du programme, permettant de discuter avec des auteurs, tels que ceux du dictionnaire des francophones, pour l’université Jean Moulin, Lyon 3.
https://bu.univ-lyon3.fr/dictionnaire-des-francophones
En conclusion a été rappelé que le numérique est au départ un « commun », c’est-à-dire qu’il n’est ni propriété de l’Etat ni la nôtre. La langue est un commun, doit rester un commun et les outils technologiques ne doivent pas s’approprier la langue.
Le plurilinguisme et les outils numériques, en s’épaulant, apportent leur aide dans les enjeux de citoyenneté et d’égalité, de reconnaissance de l’autre, offrent des occasions de dialoguer entre les cultures, d’exprimer la complexité des choses tout en restant unis dans la richesse de la diversité.
Est formulé le souhait que les présidences suivantes, continuent de faire vivre ce flambeau plurilingue.